Dans le sud-ouest du Kazakhstan, la mer d’Aral, grignotée depuis des décennies par un désert de sable et de sel, a regagné du terrain, grâce à la digue Kokaral.
Au début des années 60, les autorités soviétiques ont sciemment condamné ce lac en détournant les eaux de l’Amou-Daria en Ouzbékistan et du Syr-Daria au Kazakhstan afin d’irriguer les sols arides des steppes environnantes et de développer la culture du coton.
Mais depuis août 2005 et la construction de la digue par la Banque mondiale et le gouvernement kazakh, la « petite » Aral au nord, séparée depuis une vingtaine d’années de la « grande » au sud, a vu sa surface augmenter de 50% et l’écosystème regagner un peu de sa superbe. Dix-sept des 30 espèces de poissons de l’Aral y vivent de nouveau.
A Aralsk, un port au nord-est de la petite mer qui était à 100 km des flots il y a trois ans, on devine désormais l’eau à l’horizon, et à l’entrée de la ville un panneau proclame fièrement : « Bonne nouvelle, la mer revient ! ».
Il faudra certes attendre la deuxième phase du programme de la Banque mondiale et la construction d’une deuxième digue pour que, d’ici six à sept ans, le bruit des vagues berce de nouveau la ville.
Mais Aralsk, qui était ruiné depuis 30 ans, voit déjà son activité halieutique renaître : avec 2.000 tonnes de poisson l’année dernière, les prises ont été multipliées par 40 en trois ans.
Dans le sillage de cette pêche miraculeuse, deux usines flambant neuves de congélation sont prêtes à démarrer, alors que la dernière fabrique avait fermé en 1998.
L’entreprise introduit 15 millions de poissons par an dans les lacs autour de l’Aral, un chiffre qu’il espère tripler avec le retour de la mer.
Car avec la montée des eaux, la salinité baisse, permettant la réapparition des espèces autochtones de poissons qui avaient toutes disparu. Jusqu’alors, seule la sole de la mer d’Azov survivait dans l’Aral, après y avoir été introduite pour maintenir une source de revenus pour les pêcheurs.
Le directeur de la Banque mondiale Robert Zoellick, en visite jeudi à Kokaral, avait donc toutes les raisons de se réjouir. La construction de la digue prouve que « les désastres provoqués par l’homme (…) peuvent être en partie réparés », s’est-il félicité.
Ce succès reste mince toutefois comparé à l’ampleur du désastre dans la « grande » mer d’Aral, qui continue de reculer. La digue a permis aux eaux de s’étendre au nord et de reconstituer une partie de la petite mer, mais celle-ci ne représente que 5% de ce qui fut autrefois le quatrième plus grand lac au monde.
« On fait ce qu’on peut pour la petite mer, mais au sud l’Aral ne peut plus être sauvée. Même si on arrêtait toute l’agriculture, ce qui provoquerait un drame économique et social, il faudrait 50 ans à la mer pour revenir », déplore Joop Stoutjesdik, ingénieur en chef de la Banque mondiale pour les programmes d’irrigation.
HISTORIQUE:
La mer d’Aral, un désastre écologique orchestré par l’Homme
La mer d’Aral, entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, a perdu 70% de sa surface depuis les années 60, devenant l’un des plus graves désastres écologiques du 20e siècle, que l’Homme cherche désormais à réparer.
Les raisons du recul de la mer
Les autorités soviétiques, pour développer l’agriculture dans les steppes arides d’Asie centrale, ont construit dans les années 60 de vastes canaux d’irrigation le long des deux principaux fleuves alimentant l’Aral, l’Amou-Daria en Ouzbékistan, et le Syr-Daria au Kazakhstan.
Dès le début des années 70, l’eau s’était retirée des principaux ports et à la fin des années 80, ce qui fut le quatrième plus grand lac au monde n’était plus que l’ombre de lui-même, divisé en deux entre un « petite » mer au nord, et une « grande » au sud, et perdant 70% de sa surface.
Conséquences sociales et économiques
L’industrie de la pêche a été ruinée, toutes les espèces de poissons autochtones ont disparu les unes après les autres. Le seul poisson à survivre depuis les années 90 est un type de sole originaire de la mer d’Azov (entre l’Ukraine et la Russie) capable de vivre dans des eaux très salées.
L’eau en se retirant a laissé place à un désert de sel et d’engrais chimiques. Ce mélange, charrié par les vents, a entraîné une explosion des maladies respiratoires et un taux de cancers bien plus élevé dans les régions du bassin de l’Aral qu’ailleurs en Asie centrale.
Sauver la « petite » mer d’Aral
En 2001, la Banque mondiale et le gouvernement kazakh lancent un projet de 86 millions de dollars pour construire notamment une digue sur le canal reliant la grande et la petite mer d’Aral et éviter que l’eau ne se perde dans le désert.
Grâce à cet ouvrage et des travaux pour réguler le flot du Syr-Daria, la petite Aral a regagné 50% de sa surface depuis 2005, permettant la baisse de la salinité des eaux, le retour des poissons et le développement de la pêche.
La deuxième phase du projet doit être lancée en 2009 avec un budget de 300 millions de dollars pour consolider les acquis et notamment permettre le retour de la mer dans le port kazakh d’Aralsk.
Au sud, la « grande » mer est condamnée, et devrait poursuivre son recul pour se séparer à terme en plusieurs lacs salés sans vie.
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